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CRITIQUE DU FILM “MAKE ME UP” : "POUPÉES FÉMINISTES ET AMOUR DE SOI"

Submitted by Hélène Robert on Sun, 05/17/2020 - 19:04

Jeudi 14 mai 2020, j’ai été membre du jury du festival international de films de femmes. Il devait se tenir en Turquie, mais à cause des raisons sanitaires actuelles, il a eu lieu en ligne. Voici en quelques mots, ma critique du film que nous avons primé.

MAKE ME UP, Rachel Maclean, 2018

Il y avait dix films en compétition officielle cette année à Ankara. Le festival s’appelle « Festival international du film de femmes » car ces films sont réalisés par des femmes. Et ces femmes ont plus parlé du monde que de sujets typiquement féminins. Si plusieurs films comme Vagenda Stories, Intentional Sweat, The French Teacher or Believe ont évoqué la difficulté à être mère, aucun n’a exprimé la difficulté à être une femme… à part Make me up!

Film anglais réalisé par Rachel Maclean, Make me up a obtenu le prix FIPRESCI. Le féminisme et la liberté qui s’en dégagent expliquent notre choix.

Make me up utilise la satire et la provocation pour éclairer le climat de surveillance, de violence et de soumission auquel est confronté toute femme durant sa vie simplement parce qu’elle est une femme. Il ne s’agit pas de filmer un harcèlement de rue, une inégalité salariale ou un avortement mais de questionner l’image même de la femme. Sa beauté à travers le miroir. La mythologie qu’elle porte malgré elle Aphrodite, Madone, Ève.

Comment se construire à partir de concepts archétypaux de beauté, de vertu et de péché ? Telle est la question posée par Rachel Maclean.

Dans Make me up, le personnage principal Siri est enfermé dans un monde de poupées. Elle-même est devenue une poupée ! Parfaitement jolie, parfaitement sage, parfaitement éduquée. Du moins si on la contrôle électroniquement ! Car dès que le système se dérègle, le jouet s’humanise et cherche à sauver la condition féminine et à transformer une compétition où chacune se tue en une équipe solidaire de Lara Croft.

Les cartes se renversent, les codes s’inversent. Dorénavant, les mous et le maquillage servent à tromper l’adversaire et à s’échapper plutôt qu’à se faire aimer.

L’amour de soi… voilà le grand sujet du film. Pourtant ici, nulle psychologisation, nul drame affectif, nulle séduction. Les femmes ne le peuvent pas, elles sont muettes et emprisonnées. Alors comment advient l’amour de soi ? D’abord en éprouvant la haine de soi.

Voici le présupposé au scénario : une fille veut changer de nez. Tous lui disent qu’elle est belle mais elle cherche à se conformer à une image idéalisée de la femme, donc d’elle-même. Et la voilà devenue poupée. Les phrases paradoxales qu’elle prononce pour annoncer sa chirurgie sont symptomatiques de son mal être. Elles renvoient à l’incapacité des réseaux sociaux à nous convaincre de notre beauté, même lorsque les réseaux sociaux nous le répètent. Les rares flash-back de la youtubeuse Siri sont intégrés à cette dystopie à des moments pertinents. Ils apportent une dimension réaliste, émouvante et dramatique.

Ce n’est pas en se regardant dans le miroir que Siri comprend qu’elle ne s’aimait pas. La révélation survient quand elle comprend ce que les autres filles ont traversé pour devenir une poupée comme elle. C’est ce sentiment de sororité qui lui fait prendre conscience que toutes les femmes ont du mal à se trouver belle et que chacune est à la recherche de sa propre image.

C’est à partir de cet épisode qu’elle va casser toutes les images. La dernière partie du film devient alors l’illustration de l’expression women empowerment.

La dernière phrase du film est jouissive de mystère. On demande à Siri quand la Terre va disparaitre. Sa réponse ? “As long as you keep me charged, we should be just fine”. Quel message subliminal faut-il comprendre ? À vous de voir.

Dans le livre sorti en 2019 Le regard féminin à l’écran, Iris Brey distinct le male gaze du female gaze. Elle définit le male gaze comme un corps féminin filmé tel un objet de désir, et le female gaze comme un corps féminin filmé tel un sujet de désir. Que penserait la théoricienne de Make me up ? Certainement que Rachel Maclean s’appuie sur les codes du male gaze pour mieux s’en moquer. Une façon intéressante de laisser ouverte la question ultime: qu’est-ce qu’une femme ?

Plus d'informations sur le festival ici

Plus d'informations sur le prix remis sur le site FIPRESCI ici.

Ma biographie sur le site du festival