J'aimerais m'abandonner à ce qui est là : une amitié, une envie d'aimer, un confinement.
J'aimerais m'abandonner à ce qui pourrait être là : de l'amour, de la sérénité, des projets.
Ces oscillations émotionnelles et mentales ont toutes pour effet de me rendre confuse. La confusion va bien au monde du 26 mars 2020. Un univers dans lequel chacun est emprisonné chez lui, où la mort rôde, où des voix d'autorité s'élèvent et scandent : "exterminez un ennemi invisible, aimez-vous de loin, ayez confiance malgré la panique". Nulle dystopie, nulle science-fiction, le réel à plein poumons. J'avais l'habitude d'observer le monde extérieur comme s'il s'agissait d'une machine solide et puissante à laquelle je devais ressembler. Quotidiennement, je tirais de mon monde intérieur une liste de maladresses, d'inachèvements et de tourments.
Il y avait le dehors, les gens, les médias. Je ne retenais d'eux que leur vitesse d'accomplissement ; leur sourire affiché ; leur polyvalence à produire un travail et dans le même temps à communiquer sur les réseaux sociaux ; leur regard tantôt séduit par ma personnalité, tantôt circonspect des conséquences et retombées de mes agissements. Et il y avait le dedans, à savoir moi. Mon manque béant de confiance en moi qu'aucune réussite personnelle n'avait encore su combler. Ma propension névrotique à penser plutôt qu'à être ; mon questionnement incessant sous forme de "pourquoi faire ?" plutôt qu'une action omnipotente délestée de cette désormais nécessaire motivation visant à la poursuivre. Dans le monde extérieur, je retrouvais souvent l'instabilité qui m'habitait. Mais loin de me rassurer, cette ressemblance familière me plongeait dans un désarroi plus grand. Je me demandais : Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ? Comme moi, n'avez-vous pas été élevé pour devenir un être à la carrière unique, à l'amour marital, aux aspirations sécurisantes ? Comme moi, avez-vous échoué à construire un mode de vie normé ? Le monde extérieur restait silencieux à mes invectives. Lui et moi ne tournons pas rond, voilà mon idée, mon opinion. Mais passé ce point commun, il restait lui ; je demeurais moi. Un seuil indépassable nous séparait.
Et voilà que la confusion s'empare des autres hommes, des institutions, des lois de notre société. Ce sera certainement passager ; une grippe. Les gens à l'issue retrouveront l'équanimité disparue. Ils renoueront avec leur centre. Ils seront de nouveau dans leur axe. Mais qu'adviendra-t-il de moi ? Mon état confusionnel n'a pas eu besoin d'un bouleversement planétaire pour naître. Que devrais-je donc expérimenter pour le voir s'éteindre ? C'est peut-être la première fois que mes états d'âme rejoignent les états du monde.
Le 26 mars 2020.